La fracturation hydraulique est associée à d’importantes émissions de méthane, rendant le gaz naturel plus dommageable pour le climat que le charbon

Selon Pierre Moreau, le ministre des ressources naturelles, « le gaz réduit entre 25 et 32 % les gaz à effet de serre (GES), si on le compare à l’essence ou au diesel ». Selon Isabelle Melançon, ministre de l’environnement, juge le gaz naturel « beaucoup plus vert que le pétrole », surtout dans un contexte de « transition » énergétique. » Mais que est-il exactement?

La COMBUSTION du gaz naturel émet effectivement moins de GES

Cependant, le méthane est un puissant gaz à effet de serre

  • Malgré la dégradation relativement rapide du méthane (durée de vie de 12 ans), sur un horizon de 20 ans le méthane aurait un potentiel de réchauffement global 84 fois supérieur au CO2 (voir le rapport du GIEC page 714);
  • Historiquement, le méthane serait responsable de 32% du forçage radiatif – la contribution au réchauffement climatique – de tous les gaz à effet de serre entre 1750 et 2011, derrière le CO2 (56%);

Les pertes de méthane au cours du cycle de production des gaz de schiste sont importantes

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Les caméras à infrarouges peuvent être utilisées pour détecter les fuites de méthane tout au long du cycle d’exploration, de production et de transport du gaz naturel. de Source: Earthworks
  • Lors de la production et du transport du gaz naturel, des fuites relativement importantes surviennent. On appelle ces fuites les émissions furtives. Celles-ci peuvent survenir:
    • Pendant la production: l’équipement lui-même est susceptible de fuir;
    • Lors de l’entreposage en réservoir;
    • Lors du transport par pipeline ou par camion;
    • Lors de la manipulation pendant le processus de raffinage;
    • Aux centrales thermiques qui utilisent le gaz naturel;
  • Les émissions seraient de 30 à 50% plus importantes lors de la production de gaz de schiste que lors de la production conventionnelle, notamment alors que le puits est complété pour passer à la phase de production, lors de la remontée des boues de fracturation et lorsque le puits vieillissant ne produit plus à son plein potentiel et est reconditionné pour poursuivre l’exploitation;
  • Ainsi, plus la production de gaz naturel émet de méthane, moins cette production est intéressante comme solution de rechange aux autres hydrocarbures pour lutter contre les changements climatiques. Il a été estimé que si plus de 3,2% de la production de gaz naturel est perdue au cours des différentes étapes de la production et du transport, l’utilisation du gaz naturel serait au moins autant dommageable pour le climat que le charbon;

L’étendue des émissions furtives de gaz naturel est débattue

  • Puisque l’étendue des émissions furtives est cruciale pour déterminer si le gaz naturel peut être considéré comme une énergie permettant de réduire les GES, cette question est débattue avec force. En 2013, un rapport produit pour le GIEC affirmait qu’il était primordial de bien quantifier les émissions de méthane qui se produisent lors de la production du gaz naturel non-conventionnel comme le gaz de schiste;
  • Des données de l’industrie montrent que pour le transport par pipeline, la mesure du volume de gaz à l’entrée et à la sortie indique une différence de 3%. Cependant, cette différence n’inclue pas seulement les fuites mais également les erreurs de comptabilité et les variations de volume induites par les changements de température (Paige Ogburn, 2013);
  • Le rapport au GIEC de 2013 reconnaissait que les connaissances étaient alors insuffisantes et que les données provenaient principalement de l’industrie gazière. Par exemple, aux États-Unis, les données fournies par l’industrie à l’Enviromental protection Agency (EPA) estimaient les fuites du cycle de production à 1,4% ;
  • En 2011, une étude (Howart, 2011) rapportait que les fuites de méthane étaient plus élevées que rapportées par l’industrie et atteignaient 3,6 à 7,9% du gaz naturel produit;
  • En 2014, une nouvelle étude (Howart, 2014) de l’université de Cornell revenait à la charge et estimait que, compte tenu des estimation récentes de plusieurs études des fuites de gaz (Figure 2), le gaz de schiste avait une empreinte carbone supérieure de 20 à 100% à celle du charbon (Figure 1). Cette étude a jeté une douche froide sur l’enthousiasme que l’industrie tentait de créer pour le gaz naturel.
  • Il a été estimé récemment que les émissions furtives seraient beaucoup plus importantes que rapporté auparavant par l’industrie pour l’inventaire des gaz à effet de serre de l’EPA aux États-Unis (Golden 2014Lavoie 2017, voir également une série d’études coordonnées par le Environmental Défense Fund (EDF)).
    • Par exemple, en 2014, les émissions aux puits d’exploitation étaient 17% plus élevées que rapportées dans l’inventaire de l’EPA (Allen 2014);
    • En 2017, une étude rapportait que des échantillons d’air récoltés pris à proximité de centrales thermique au gaz à bord d’un avion montrait que les émissions seraient entre 2 et 120 fois plus importantes pour les centrales thermiques que rapporté précédemment (Lavoie 2017) ;
    • En 2016, des observations satellitaires et des échantillons de surface montraient que les émissions de méthane des États-Unis avaient augmenté de 30% entre 2002 et 2014. L’étude ne démontrait toutefois pas la provenance de ces émissions. Celles-ci constitueraient une portion allant de 30 à 60% de l’augmentation de méthane atmosphérique observée au niveau planétaire au cours de la dernière décennie (Turner 2016);
    • En 2018, une étude de la NASA, analysant les isotopes de différents gaz, démontrait que l’industrie des énergies fossiles contribuait de façon importante à la hausse du méthane atmosphérique inexpliquée (Worden 2018).
  • Ces données récentes laissent croire que les émissions furtives de méthane sont plus importantes qu’estimées précédemment par l’industrie et contribuent significativement au potentiel de réchauffement du gaz naturel, particulièrement si celui-ci est produit par fracturation hydraulique.
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Figure 1. Comparaison de l’empreinte carbone des gaz de schiste, du gaz naturel conventionnel, du charbon et du diésel sur un horizon de vingt ans. Les barres bleues montrent les émissions directes de dioxyde de carbone attribuables à la combustion. La mince barre orange indique le dioxyde de carbone associé à la production et à l’utilisation. Les barres magenta indiquent la conversion du méthane en équivalent carbone en terme de potentiel de réchauffement planétaire.  Source: Howart, 2014
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Figure 2. Estimation des fuites de méthane selon plusieurs études récentes. Source: Howart, 2014

Des émissions qui continuent une fois les puits abandonnés

  • En novembre 2016, une étude montrait qu’en plus des émissions furtives tout au long du cycle de production du gaz naturel, presque tous les puits abandonnés émettaient encore du méthane pour plusieurs années et potentiellement pour plusieurs décennies. Seulement en Pennsylvanie, le nombre de puits abandonnés pourrait atteindre 750 000 (Kang 2016) et 3 millions aux États-Unis;
  • En Gaspésie, un puits foré en 1890 fuit toujours, émettant du méthane et continuant de contaminer l’eau des environs et démontrant que les émissions se poursuivent longtemps après l’abandon des infrastructures. En 1999, l’entreprise Foragaz aurait pourtant scellé le puits à la demande de Québec;
  • À Sainte-Françoise, des militants ont démontré que ces puits abandonnés, même « bouchés », même depuis 30 ans, émettaient encore une quantité importante de méthane. Une flamme pouvait toujours être nourrie par cette fuite;
  • Au Québec, 960 puits d’exploration sont actuellement abandonnés. Certaines estimations atteignent jusqu’à 2000 puits dont la plupart ne sont pas indiqués sur les cartes du gouvernement;
  • Les citoyens du groupe Collectif moratoire alternatives vigilance intervention (CMAVI) réclame que Québec procède à un inventaire des  puits abandonnés et colmate les fuites s’il y a lieu. Le CMAVI a également lancé une campagne « À la recherche des puits abandonnés : les citoyens passent à l’action ! » qui incite également les citoyens à inspecter les puits, à en évaluer l’état et à rapporter leurs trouvailles (www.cmavi.org);
  • En avril 2018, un rapport alarmant remis au gouvernement en 2016 par des citoyens mandatés pour trouver quelques 121 puits abandonnés montrait que « 38 présentent des indices de fuites ou de problèmes ». Pourtant le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) ayant mandaté les citoyens a refusé pendant deux ans de dévoiler le contenu de ce rapport;
  • Lancer le Québec dans l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste, c’est augmenter dramatiquement le nombre de puits qui seront éventuellement abandonnés, qui continueront d’émettre de puissants gaz à effet de serre et qui devront être inspectés et être sécurisés aux frais des contribuables.

L’industrie réfute toujours les données scientifiques

  • L’industrie conteste toujours ces estimations en soutenant que la méthodologie utilisée pour certaines études n’est pas crédible ou que les résultats obtenus n’ont pas été répétés;

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Le gaz naturel issu de la fracturation hydraulique n’est donc pas une énergie de transition

  • Le 6 septembre 2017, Damon Matthews, un expert du GIEC se prononçait à l’effet que le gaz naturel n’est pas une énergie de transition viable;
  • Le développement de nouvelles sources d’hydrocarbures est ainsi incompatible avec nos engagements, pris à la COP21 à Paris, à réduire nos émissions de gaz à effet de serre;
  • Une étude présentement sous presse a intégré les aspects environnementaux, sociaux et économiques afin de comparer divers modes de génération d’électricité. Les auteurs arrivaient à la conclusion qu’une économie durable devrait utiliser moins de gaz de schiste et que cette filière avait un impact environnemental  329 fois plus important que les énergies éoliennes et solaires et créait 16 fois moins d’emplois.

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