CAPSULE ÉNERGÉTIQUE
Définir les types d’énergie
Pour comprendre la complexité du débat sur les énergies, commençons par définir certains termes couramment utilisés dans le domaine.
Énergie primaire :
Ce sont des cadeaux de la nature, peuvent être subdivisés en deux sous-classes
– Fossiles :
- Combustibles solides ————-> Charbon, Bois
- Combustibles liquides ————-> Pétrole
- Combustibles gazeux ————–> Gaz Naturel
- Combustible nucléaire ( fission : uranium )
– Renouvelables :
- Énergie Hydraulique, Solaire, Éolienne, Géothermique
- Énergie nucléaire ( fusion : hydrogène )
Énergie secondaire :
Ces énergies doivent être fabriquées à partir d’énergie primaire, ce qui entraîne une perte de rendement. L’énergie électrique et l’hydrogène sont des énergies secondaires, ce sont des transporteurs d’énergie.
Classification des types d’énergie selon la provenance :
– Énergies concentrées (ou énergie de stock) : Énergies fossiles
Tout le développement de l’industrialisation provient de cette forme
– Énergie dispersée (ou énergie de flux) : Énergie renouvelable
Réserves et Ressources
Les définitions qui suivent concernant les réserves de combustibles s’appliquent aussi bien pour le pétrole, pour le gaz naturel et pour le charbon. Le type de travaux géophysiques nécessaires pour déterminer les probabilités d’extraction d’un combustible sont les mêmes pour le pétrole et pour le gaz, mais sont très différents pour le charbon, la genèse de ce combustible n’étant pas la même.
Généralement le mot ressource définit ce qui existe sous terre, mais il est impossible de connaître cette valeur exactement, car les travaux de prospection géophysiques ne peuvent utiliser que des méthodes indirectes de mesure. Même si la science a beaucoup progressé depuis les années 80, il existe toujours une certaine incertitude. Et qui dit incertitude, dit probabilité.
Le mot réserve peut maintenant être précisé en fonction de certaines probabilités. La figure qui suit présente les définitions pour les trois classes de réserves de pétrole ou de gaz naturel : Prouvées (P1) – Probables (P2) – Possibles (P3)
Les réserves prouvées, qui sont les seules à être publiées, ne désignent donc pas ce qui reste encore sous terre, mais seulement la fraction de ce combustible sous terre, que nous pensons pouvoir extraire avec les techniques disponibles aujourd’hui (ou dans un futur proche) et dans des conditions économiques favorables (que le coût d’extraction ne soit pas supérieur au prix de vente présent ou futur). Une réserve prouvée est donc une notion sujette à interprétation.
Dans le cas du pétrole :
Les deux dernières classes de réserves correspondent soit à du pétrole dont la découverte n’a pas encore eu lieu, mais qui est considéré comme plus ou moins probable, soit à des réévaluations du potentiel de réservoirs déjà découverts, parce que les technologies se sont améliorées ou la taille du gisement a été réévaluée.
Taux de récupération
Notons aussi que les réserves dépendent fondamentalement du taux de récupération, c’est-à-dire du rapport entre le pétrole présent dans le réservoir au début de l’exploitation, et la partie qu’il sera possible de remonter du début à la fin de l’extraction. Nous pouvons améliorer les conditions techniques, ce qui, en pratique, signifie que nous pensons pouvoir récupérer à l’avenir une part plus importante du pétrole contenu dans les réservoirs. Si le taux de récupération augmente suffisamment, cela peut augmenter très substantiellement les réserves.
En 2010, Jean Laherrère a cumulé les données de 17 200 champs de pétrole à travers le monde en fonction de la taille du réservoir et a tracé le graphique qui suit. Actuellement le taux moyen de récupération est de l’ordre de 35 % et, dans les cas les plus favorables, il peut atteindre la valeur de 80 %, ce qui est exceptionnel.
La limitation ultime du taux d’extraction est l’énergie nécessaire pour le pompage et la transformation, c’est-à-dire lorsque le taux de retour énergétique (EROI) approche de la valeur de 1.
Historique des découvertes de pétrole et de gaz
L’extraction pétrolière commerciale débuta à petite échelle en 1857 en Roumanie puis en 1859 aux États-Unis, en Pennsylvanie. Le pétrole constitua d’abord un moyen d’éclairage (les lampes à pétrole) dans les petites localités puis au début du XXe siècle, c’est devenu un carburant pour les premières automobiles. John D. Rockefeller fonda en 1862 sa première compagnie, qui allait devenir huit ans plus tard la Standard Oil of New Jersey. En 1911, poursuivi en application de la loi antitrust, il dut se résoudre à scinder la Standard Oil en plusieurs compagnies sœurs. La société mère prendra plus tard le nom d’Exxon et sera à l’origine d’autres « majors » comme Mobil, Chevron ou Amoco.
En réalité, la réussite de Rockefeller résulta moins de la production des puits qu’il possédait que du grand réseau d’oléoduc (pipeline) qu’il constitua pour étendre son marché après avoir acheté le pétrole des petits producteurs dispersés dans de vastes régions. En effet, aux États-Unis, à la différence de la plupart des pays, le propriétaire du sol est également propriétaire du sous-sol, et donc du pétrole qui s’y trouve. Il y a aujourd’hui encore aux États-Unis de nombreux petits producteurs de pétrole (près de 10 000 producteurs avec 500 000 puits, contre seulement 3 000 puits au Moyen-Orient). Ces petits producteurs vendent le pétrole aux grandes compagnies, qui le transportent, le raffinent et le commercialisent.
En 1908, les Britanniques furent les premiers à entreprendre l’exploration et l’exploitation du pétrole du Moyen-Orient pour l’exporter vers l’Europe. Ils fondèrent alors l’Anglo-Persian Oil Company (qui deviendra l’Anglo-Iranian et, après la Seconde Guerre mondiale, devint la British Petroleum). L’amirauté britannique fut très tôt la partenaire de cette compagnie et, en 1911, grâce à Winston Churchill, alors lord de l’Amirauté, le gouvernement décida que les navires de guerre de Sa Majesté utiliseraient désormais le mazout pour alimenter leurs chaudières.
Le gigantesque gisement de Ghawar (à 300 kilomètres à l’est de Riyad en Arabie Saoudite) est découvert en 1948. Il demeure encore aujourd’hui le plus gros du monde, avec 16 milliards de tonnes de réserve. On y extrait 5 millions de barils par jour. Le deuxième gisement mondial est celui de Burgan au Koweït, découvert en 1938 par la Gulf et BP; il a 8 milliards de tonnes de réserve, et le troisième, Safaniya, découvert en 1951 en Arabie, en a 4, comme celui de Rumana, en Irak.
De nombreuses découvertes de pétrole conventionnel ont été faites entre 1945 et 1975. En plus de celles citées plus haut, il y a les découvertes de la mer du Nord, de l’Alaska, du Golfe du Mexique et des plaines centrales russes, puis ceux plus récents du Golfe de Guinée. Plus récemment, les découvertes se font de plus en plus rares et de dimensions plus réduites comme le présente le graphique plus bas. Par contre, la consommation n’a cessé de croître et cela représente un problème important.
La première personne à avoir noté la correspondance entre les découvertes et le taux de production de pétrole est un géologue américain, Marion King Hubbert (1903-1989), qui, en se basant sur cette observation, a prédit en 1959 que la production aux USA culminerait au début des années 1970 puis décroîtrait ensuite (on parle maintenant, pour désigner le pic de production, du « pic de Hubbert »). Il s’est avéré qu’il avait vu juste pour ce qui est du pétrole conventionnel. En se basant sur ce modèle, qui a parfaitement fonctionné pour les États-Unis, il est possible de mettre en relation la courbe de découverte et la courbe de production pétrolière et on observe qu’il y a historiquement un décalage typique d’environ 35 ans entre ces courbes.
Figure représentant le volume de découvertes de pétrole conventionnel
(incluant l’offshore profond et le pétrole arctique).
Depuis quelques années, l’arrivée sur le marché de pétrole non-conventionnel a stabilisé un certain temps les prix, mais selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), les réserves économiquement exploitables risquent de décliner rapidement. À titre d’exemple, selon l’AIE le pétrole de schiste du Dakota verra sa production diminuer rapidement à partir de 2035, c’est la même chose pour les autres pétroles de schiste. Une raison à cela est que le taux d’extraction de ce type de pétrole est très faible, les experts estiment qu’il est économiquement possible d’extraire seulement que 3 à 6 % de la ressource en place par la méthode de la fracturation hydraulique, mais guère plus. Pour le pétrole conventionnel c’est beaucoup plus.
Fait important à noter, la fracturation hydraulique demande de très grandes quantités d’eau. De nouvelles découvertes de pétroles de schiste ont été faites dans le nord du Texas en 2015, mais dans une zone aride. Le manque d’eau disponible à proximité pourrait nuire fortement à l’extraction de ce pétrole.
Seules les réserves des sables bitumineux de l’Alberta et du Venezuela pourront avoir une durée de vie s’approchant des 75 ans à leurs taux actuels de production, mais ceci est sujet à réévaluation à la baisse si leurs taux d’extraction augmente.
Le gaz naturel est fréquemment présenté comme l’énergie idéale du futur. De fait, il présente un certain nombre d’avantages :
- Sur une base énergétique, il est un peu moins cher que le pétrole pour l’instant
- Il est relativement abondant : les estimations des réserves prouvées oscillent autour de 65 ans de production au rythme actuel de consommation
- Il est mieux réparti à la surface du globe que le pétrole, lequel a ses réserves massivement concentrées dans les pays du Moyen-Orient
- Il contient moins de composants mineurs produisant de la pollution locale (soufre, particules, métaux lourds, etc) que le pétrole ou le charbon
- Il contient moins de carbone par unité de masse que les produits pétroliers, et sa combustion provoque donc moins d’émissions de CO2 (gaz à effet de serre)
Mais le gaz naturel conventionnel ne représente qu’une solution partielle et temporaire : même s’il est moins riche en carbone que le pétrole ou le charbon, le gaz engendre quand même des quantités significatives de CO2 lors de son utilisation : on obtient une baisse de « seulement » 25 % des émissions par rapport au pétrole (à énergie dégagée équivalente) et « seulement » 40 % par rapport au charbon. Pour le cas du gaz non-conventionnel, les émissions de CO2 augmentent considérablement, car la fracturation hydraulique impose une demande énergétique importante. Des études montrent que le bilan carbone de ce type de combustible est alors similaire à celui du charbon. On ne peut plus parler alors de combustible de transition.
Réserves ultimes
Définissons un nouveau terme, celui de « réserve ultime ». C’est la somme de ce qui sera extrait de terre du début à la fin de l’histoire des combustibles fossiles. Il s’agit donc de l’addition de :
- Tout ce qui a déjà été consommé
- Tout ce qui est contenu dans les réserves prouvées
- Tout ce qui est contenu dans les réserves probables et possibles
La figure suivante représente ce cumul pour le pétrole.
Toujours dans le cas du pétrole, une estimation des réserves ultimes a été faite en 2014 par le Département américain de géologie (USGS) et chiffre cette réserve à 2500 milliards de barils. Pour sa part, Jean Laherrère a produit une évaluation en 2015 et arrive à la valeur un peu plus élevée, soit 3000 milliards de barils.
La différence entre les scénarios optimistes et pessimistes au niveau de nouvelles découvertes diffère seulement de 15 ans de consommation.
Selon les données de BP en 2015, chaque jour l’humanité :
- Consomme ≈ 95 millions de barils de pétrole ——> 34.7 milliards / année
- Découvre ≈ 20 millions de barils
Il est possible de conclure que dans un avenir proche de plus en plus de personnes vont compétitionner pour obtenir du pétrole qui sera de moins en moins disponible, donc de plus en plus cher. Mais attention, le prix du pétrole peut varier fortement d’année en année en fonction de la guerre économique que se livrent les différents pays producteurs.
Le tableau suivant présente les réserves mondiales pour différents combustibles ainsi que leur production annuelle telle que recensée en 2014 par l’Agence Internationale de l’Énergie. Les réserves de charbon sont les plus importantes, et les mieux réparties à la surface de la Terre, soit l’équivalent d’environ 150 ans de consommation au rythme actuel, mais leur exploitation future pourrait être fortement concurrencée par l’existence d’autres sources d’énergie moins gourmandes en main d’œuvre et donc peut-être moins onéreuses, mais surtout moins polluantes. De plus, la production considérable de CO2 qu’entraîne la combustion du charbon est en opposition directe avec les besoins de stabiliser le climat de la planète.
Réserves mondiales prouvées et production annuelle par source d’énergie en 2014
- GBl : Milliards de Barils
- Tm3 : Trillions de m3
- Mt : Millions de tonnes
- Gtpe : Milliard de tonnes de pétrole équivalent
La production mondiale de charbon est de 3.95 milliards de tonnes de pétrole équivalent (Gtpe) auxquelles s’ajoutent 900 millions de tonnes de lignite. Environ 50% du charbon produit sert à la production d’électricité, 16 % à la sidérurgie et 5 % aux cimenteries. Le solde, 29 %, au chauffage et aux autres industries, dont la carbochimie.
Les réserves de pétrole et de gaz naturel estimées sont en définitive très faibles, car les réserves conventionnelles, celles qui sont les plus faciles à exploiter et qui ont un taux de retour énergétique le plus élevé, sont presque toutes en phase de déclin. Ce qui est en croissance, ce sont les formes non-conventionnelles, pétrole et gaz de schiste, pétrole des sables bitumineux et pétrole ultra profond. Ce sont toutes des filières très coûteuses en termes d’investissement, et qui ont un taux de retour énergétique plus bas que les formes conventionnelles, et qui présentent des risques environnementaux beaucoup plus importants.
Autre conséquence à ne pas négliger, plus les entreprises et les états feront des investissements massifs dans les formes non-conventionnelles de pétrole et de gaz, moins ils seront en mesure de développer les filières des énergies renouvelables, ce qui peut pénaliser l’avenir.
Pour l’uranium, la conversion des réserves en « tpe » tonne-équivalent-pétrole, a été réalisée sur la base d’une conversion en électricité par une centrale ayant un rendement de 38 %. De nouvelles filières de réacteurs nucléaires à fission pourraient étendre la durée d’exploitation de cette forme d’énergie, mais la technologie est très coûteuse à développer et le problème des déchets nucléaires n’est pas près d’être résolu.
Une synthèse de la consommation passée et du potentiel futur des différentes formes d’énergie fossile a été faite par Jean Laherrère, voici les conclusions de ses travaux.
Production passée et future des combustibles fossiles selon Jean Laherrère
- Ultime pour le pétrole …….. environ 3000 Gb avec plateau de 2005 à 2025
- Ultime pour le gaz …………. environ 2200 Gbpe avec pic vers 2025
- Ultime pour le charbon …… environ 5400 Gbpe avec plateau de 2020 à 2080
La figure au dessus représente la consommation historique de combustibles fossiles entre 1850 et 2015 et une projection jusqu’à 2200 en utilisant l’estimation des valeurs ultimes pour les trois combustibles (en Gtoe : Giga tonne de pétrole équivalent).
Selon Laherrère, les réserves ultimes pour le pétrole font apparaître un court plateau qui a débuté en 2005 et qui verra son déclin de production vers 2020. Sont inclus dans ces calculs le pétrole conventionnel et le non-conventionnel. Pour le gaz naturel, les réserves ultimes voient leur pic de production se situant vers 2025. Pour le charbon, son plateau d’exploitation s’étendrait de 2025 à 2075, basé sur l’hypothèse qu’il n’y aurait pas de contraintes autres que géologiques pour en limiter l’extraction, ce qui serait une catastrophe pour le climat.
Le cumul pour l’ensemble des combustibles fossiles donne une estimation de l’ultime d’environ 1500 Gtpe, ce qui inclut ce qui a déjà été exploité et ce qui le sera. Ce chiffre n’est pas rassurant, compte tenu de l’augmentation de la population mondiale et de l’augmentation de la consommation par personne. Mais, d’un autre côté, cette valeur ultime est déjà trop élevée pour être exploitable complètement, si l’on prend en compte le phénomène du réchauffement climatique, qui est l’autre menace qui pèse sur l’humanité.
La courbe en bleu représentant le cumul de ces différentes formes d’énergie indique un sommet de production d’énergie vers 2020, pour ensuite entreprendre une lente descente sur les deux siècles à venir. Il est très hasardeux de tenter des prédictions sur une période de temps si longue, mais si le passé est garant de l’avenir, la forme générale correspond tout à fait aux prédictions faites par King Hubbert en 1956 et que la réalité historique a confirmées. La population mondiale pourrait atteindre 9.5 milliards de personnes en 2050, selon les chiffres de l’ONU, ce qui veut dire qu’à l’avenir, plus de personnes vont lutter pour moins de ressources énergétiques sous forme de combustibles fossiles.
Conclusion
Cette capsule énergétique n’a pas comme but de faire la promotion des combustibles fossiles, loin de là, mais a comme objectif de présenter brièvement la situation mondiale et d’en montrer la grande fragilité face aux aléas que le futur proche réserve en raison du manque de prévoyance du monde politique et économique qui n’a comme horizon qu’un délai de 1 ou 2 ans.
Les énergies fossiles doivent laisser place aux énergies renouvelables ainsi qu’à un effort de réduction de la consommation par personne dans les pays développés, ce qui implique pour les années à venir un déplacement important des investissements ainsi qu’un changement du mode de vie des plus fortunés.